jeudi 13 décembre 2018

Fondements théoriques de l'apprentissage - une analyse critique de représentations et de pratiques d'acteurs universitaires


Contextualisation des objectifs recherchés et sélection de la littérature consultée

D’abord, adopter un regard critique sur les représentations et les pratiques des acteurs et des actrices du milieu universitaire, ainsi qu’argumenter sur leur choix pédagogiques et didactiques dans les modalités d’enseignement en présentiel et à distance (en s’appuyant sur les fondements théoriques actuels en éducation et sur la recherche en didactique et en pédagogie universitaires), sont deux objectifs pour le moins très ambitieux qui nécessitent un minimum de contextualisation sociale et culturelle. Cette sélection pourra favoriser du même coup un balisage et une sélection de l’ensemble de la littérature consultée pour une analyse critique réalisable et fiable. Les théories de l’apprentissage (notamment celles du cognitivisme, du constructivisme et du connectivisme) constituent une grille d’analyse de représentations et pratiques, modalités et choix d’enseignement des acteurs universitaires dans la littérature (plutôt que dans la pratique; même si nos observations peuvent instruire et illustrer, voire rejoindre en partie la littérature consultée).

Ces précisions méthodologiques liminaires apportées, avant de présenter les éléments de notre contribution au regard critique sur ces représentations et pratiques, il faut également préciser que traiter des choix pédagogiques et didactiques des acteurs-trices universitaires dans leurs modalités d’enseignement peut être fait selon deux aspects. D’une part il s’agit non seulement d’en traiter selon un corpus textuel et dans un contexte social et culturel délimités. D’autre part il s’agira d’adopter un regard critique sur leurs représentations et leurs pratiques de l’enseignement, pour le peu que la recherche peut comprendre, dire et rendre leur diversité, leur hétérogénéité et leur constante adaptabilité constitutives (tant ces pratiques et plus encore ces représentations de l’enseignement restent très difficiles à circonscrire et à arraisonner dans leur mouvance et dans leur évolution continues). Bien que nous ne pouvons en savoir que très peu - avec certitude - sur l’évolution générale de ces pratiques/représentations enseignantes (tant les choix pédagogiques/didactiques et les modalités d’enseignement sont plus sujets à une continuelle adaptation d’enseignant.e.s aux réponses d’apprenant.e.s qu’à une théorisation unique, certaine et indubitable), il s’en dit paradoxalement beaucoup à ce sujet. Avec une certaine prudence éthique, méthodique et épistémologique sur ces productions discursives vis-à-vis des pratiques/représentations enseignantes, il faut préciser que ce que nous serons amenés ici à dire - et plus encore à critiquer de façon large - des représentations et des pratiques des acteurs et des actrices du milieu universitaire, s’inscrit dans un contexte d’étude limité/circonscrit à certaines théories de l’apprentissage : le (socio)constructivisme, le cognitivisme, le connectivisme. Ces théories, bien qu’essentielles et fondatrices dans les théories sur l’apprentissage, ne sont pas exhaustives et ne constituent pas l’ensemble des théorisations disponibles sur l’apprentissage et notamment sur l’apprentissage numérique (cela quand bien même ces dernières peuvent s’inspirer des premières). 


Cadre général et expérientiel de notre critique pédagogique :

Notre critique des représentations et pratiques des acteurs du milieu universitaire prendra l’angle particulier (souhaité) des effets possibles des théories de l’apprentissage sur leurs pratiques d’enseignement. Nous nous appuierons sur la littérature consultée et sur une expérience universitaire double et complémentaire : d’une part, sur notre expérience dans divers séminaires doctoraux en études féministes, en philosophie et en sociologie; d’autre part, sur notre expérience professionnelle actuelle en développement techno-pédagogique d’un nouveau programme interdisciplinaire, hybride, de deuxième cycle à l’UQAM (un programme qui a adopté l’apprentissage par problèmes et l’approche par projets (A2P2). Particulièrement dans ce cadre universitaire techno-pédagogique, nous avons pu observer de façon répétée, par la nature de questions posées - des résistances internalisées et des inquiétudes témoignées - par les professeur.e.s que beaucoup sont sinon déterminé.e.s, à tout le moins influencé.e.s par des théories et représentations de l’apprentissage acquises (pour ne pas dire internalisées) au cours de leurs recherches et/ou de leurs études.

Derrière ces théories et représentations de l’apprentissage chez les acteurs et actrices du milieu universitaire se jouent leurs représentations et théories, définitions et critères de ce que sont ou devraient être les savoirs académiques. En effet, plusieurs théories et critères d’évaluation des apprentissages nous ont semblés (à mon équipe et moi) si profondément ancrés dans leur pratique d’enseignement qu’il leur est parfois difficile de se représenter autrement l’apprentissage que par le seul savoir professoral; un savoir très souvent encore transmis par l’enseignement magistral. Mais les temps changent et l’évaluation des cours par les étudiant.e.s (ex. « rate my teacher ») influence également l’évolution de modalités d’enseignement et d’apprentissage chez les professeur.e.s, particulièrement l’évolution de leurs modalités évaluatives des apprentissages étudiants.

Bien que ces apprentissages soient encore souvent des connaissances théoriques évaluées quantitativement plus que qualitativement, les ententes évaluatives entre enseignant.e.s et apprenant.e.s servent surtout, notamment à l’UQAM, à négocier la proportionnalité et le pourcentage de notation entre chaque activité et chaque travail notés plus qu’à évaluer la valeur et l’usage pratiques des apprentissages. Il appert que cette entente contractuelle sur l’évaluation des étudiant.e.s, croisée avec celle des enseignant.e.s, doit être comprise pour ce qu’elle est : si l’évaluation de l’enseignant.e peut sembler en partie conditionnelle à une entente évaluative prise avec les étudiant.e.s (souvent contenté.e.s par une revue à la baisse des exigences professorales : par la latitude laissée pour les travaux à remettre et pour les exposés en classe), cette facilitation de l’évaluation étudiante n’est pas neutre, ni sans influence. Elle constitue une pratique d’acteurs universitaires qui mérite aussi notre attention critique.


Billet :

Partant du constat expérientiel selon lequel les représentations et les pratiques d’acteurs du milieu universitaire peuvent être sujettes à l’influence d’évaluations statistiques ayant des effets sur les pratiques d’enseignement, nous pensons qu’il faut redoubler d’attention dans toute tentative critique de ces représentations et pratiques. L’évaluation de modalités d’enseignement teinte non seulement l’évolution des pratiques enseignantes (à la lumière de la satisfaction étudiante vis-à-vis des modalités de remise et de notation des travaux de session), mais elle requiert également un certain questionnement - éthique - au nom d’une pédagogie plus critique d’elle-même.

Autant la volonté professorale de se déprendre d’une certaine « dictature magistrale » (manière d’enseigner dominante historiquement parlant) peut témoigner d’une volonté de changement et d’une stratégie d’adaptation aux publics estudiantins actuels (qui semblent de plus en plus récalcitrants face à cette approche enseignante devenue impopulaire), autant il ne faudrait pas se méprendre sur ce qui pourrait aussi motiver cette volonté soudaine de changement. Est-ce stricto sensu pour l’amélioration de la seule qualité pédagogique de l’apprentissage (pour l’apprenant.e) ou, par la bande, ne serait-ce pas aussi et surtout pour plus de popularité personnelle et de reconnaissance académique que l’enseignant.e fait preuve d’adaptation, voire de changement de paradigme pédagogique?

Sans vouloir ici polariser le débat (entre apprentissage et enseignement), cette question d’éthique pédagogique nous semblait devoir être préalablement posée. Non seulement de par les intentions éventuelles pouvant motiver l’enseignant.e dans sa secondarisation ou sa mise à distance d’activités d’apprentissage (au profit de l’enseignement magistral avec lequel il/elle est plus à l’aise), mais aussi de par le potentiel critique de nouvelles théories de l’apprentissage pouvant contribuer à redéfinir le design pédagogique de l’enseignant.e. Ce nouvel apprentissage par l’enseignant.e du décentrement de soi vers l’apprentissage de l’autre (apprenant.e) et vers la formation actualisée à la pédagogie de l’enseignement supérieur, renvoie au recul vis-à-vis de la tradition positiviste (Mucchhielli et Noy, 2005) pour lui préférer des approches méthodologiques favorisant l’évolution et la construction continues chères au paradigme constructiviste présenté par Louise Ménard et Lise St-Pierre (2014). Notre introduction sur l’idéal d’adaptabilité constante/continue souhaitable au nouveau public étudiant et partant sur la décentration professorale de l’enseignement pour lui privilégier l’apprentissage étudiant rejoint une des conclusions de leur chapitre sur les paradigmes et théories qui guident l’action; notamment avec l’idée qu’« adopter un paradigme constructiviste de même que fonder ses interventions sur une théorie cognitiviste de l’apprentissage impliquent que l’enseignant se centre davantage sur ce que chaque étudiant doit faire pour apprendre » (Ménard et St-Pierre, 2014 : 31).

Cela dit, si l’application de l’apprentissage n’est pas systématiquement garantie (Ménard et St-Pierre, 2014 : 21), comme nous avons pu l’observer et contribuer à y pallier (dans notre expérience de développement techno-pédagogique de l’APP chez des professeur.e.s de l’UQAM), certains acteurs universitaires le prennent particulièrement en compte et le mobilisent activement dans leurs pratiques enseignantes. Mais cette distinction entre théorie et application de l’apprentissage nécessite d’en faire une autre entre un paradigme (« épistémologie de la connaissance scientifique et du développement des connaissances chez une personne » (Ménard et St-Pierre, 2014 : 31) et une théorie d’apprentissage (« modèle explicatif de la manière dont un individu fait des apprentissages » (Ménard et St-Pierre, 2014 : 31). Cette double distinction témoigne d’une distanciation critique à l’égard de l’hypothèse moderniste de la théorie de la rupture paradigmatique (à laquelle Foucault nous semble avoir eu raison d’opposer la thèse des discontinuités historiques; comme nous l’avons montré dans notre billet sur l’évolution de l’Université). Cela dit, il faut savoir que le paradigme constructiviste s’inscrit comme étant en rupture avec l’idée selon laquelle « la connaissance est un morceau de la réalité » et pourrait être codée « en termes de substances et de phénomènes » (Larochelle et Bednarz, 1994).


Pour aller plus loin :

Cet idéal de codage, la construction de savoirs codifiés et internalisés par les personnes et l’exigence éthique de repositionnement[1] (théorique et pratique) de l’enseignant.e dans son champ épistémologique de développement des connaissances, renforcent notre critique, à l’appui de celle de Philippe Jonnaert (2006). Sa relecture du paradigme épistémologique constructiviste de développement et de construction des connaissances (à distinguer des savoirs, codifiés) renvoie à la relation et à l’interaction entre l’objet (de connaissance) et le sujet (connaissant), ainsi qu’aux situations à partir desquelles les apprenant.e.s peuvent retirer des compétences. Ces compétences et apprentissages se font d’autant mieux qu’ils et elles se font accompagner et non diriger, d’autant plus que l’évaluation place le sujet (la personne) au premier plan. Cela implique parfois d’harmoniser les tensions entre des avis contradictoires (par exemple d’étudiant.e.s autour d’une table en APP) et d’adopter une approche inclusive du doute méthodique[2] et de la dialectique[3] entre sujet et objet de connaissance. Ainsi le sujet apprenant est tant constitué par le social qu’il contribue à le constituer (Vial, 2012 :  377).

Cette relecture théorique pourrait intéresser des formateurs-trices en APP[4], être mobilisée dans la formation d’apprenant.e.s uqamien.ne.s (étudiant.e.s et professeur.e.s) à l’apprentissage par problème (APP), ainsi que dans l’évaluation située (Vial, 2012). On retrouve chez ces nouveaux formateurs l’usage de citations anciennes de penseurs qui n’étaient pourtant pas spécialisés en éducation/didactique : « Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends. » (Benjamin Franklin). 


Bibliographie : à venir



[1] Jonnaert (2006) pointe avec raison le risque de glissement/réductionnisme épistémologique, qui lui semble également plus juste que de « changement paradigmatique », puisque pour lui ce repositionnement serait un facteur facilitant qui rendrait le constructivisme « particulièrement intéressant ».
[2] Le doute méthodique (voir le commentaire du billet 3 de Marie-Josée Goulet disponible à https://redactoblogue.co/2018/10/12/dis-moi-comment-tu-enseignes-et-je-te-dirai-a-quelle-theorie-tu-adheres/#comments) peut être également compris comme un « outil de la dynamisation de la démarche intellectuelle, de remise en cause de l’omniscience du formateur, un garant de recherche de lucidité, mais en aucun cas une invitation au désengagement ou au scepticisme désavoué » (Marquart, 1981).
[3] « Bien que logique, mais toujours flanquée d’une praxis, la dialectique, regard éminemment qualitatif, implique et comprend le temps (temporalité-durée), là où la dynamique ne se réfère finalement qu’à l’espace et à son rejeton quantitativable : l’étendue » (Ardoino, 2007). Cité et développé notamment dans la mise en dialectique entre sujet et objet de connaissance, plus particulièrement dans la réflexion critique de Vial (2012 : 399-403) sur le positionnement épistémologique de l’évaluateur dans l’évaluation située.
[4] J’ai participé à une formation de 3 heures d’introduction à l’APP le 22 novembre 2018 (formation donnée par Diane Leduc et Yves Mauffette), formation à laquelle un ensemble de professeur.e.s uqamien.ne.s assistaient. De par la nature des questions posées, par leur souci répété de raccrocher aux savoirs codifiés par l’Université (classe inversée, approche de l’étude de cas, etc.), plusieurs professeur.e.s ont illustré malgré eux/elles la résistance et la contrainte institutionnelles à développer davantage l’APP et à l’appliquer à d’autres domaines que ceux dont cette approche est issue (médecine, sciences, génie, etc.). 

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